Au-delà de l’insupportable “sondage” de @PBLVofficiel, le plus choquant reste la participation des votants. #PBLV pic.twitter.com/WA5bXgyAl4
— Solenne Legros (@So_lenne) February 27, 2016
Nous réitérons nos excuses aux téléspectateurs et à @France3tv pour ce sondage inapproprié et condamnable.
— Plus belle la vie (@PBLVofficiel) February 27, 2016
Malheureusement, il ne semble pas que le questionnement du community manager soit un cas isolé dans la société française. C’est ce que laisse à penser le sondage Ipsos* du 2 mars 2016, « Les Français et les représentations sur le viol et les violences sexuelles », commandé par l’association Mémoire traumatique et victimologie. 40% des sondés considèrent par exemple qu’une femme est en partie responsable de son viol si elle a eu une attitude provocante en public. Par ailleurs, les stéréotypes de genre persistent. Le violeur bénéficie de circonstances atténuantes. L’environnement à risque est mal identifié.
Judith Trinquart, secrétaire générale de l’association, confronte ces résultats à la réalité. Pour elle, ces représentations biaisées résultent d’habitudes sociales et d’un imaginaire profondément ancrés dans la société.
Pampa Mag : Vous attendiez-vous à ces résultats ?
Judith Trinquart : Nous avons été surpris de voir que les conséquences psychotraumatiques des viols sont bien connues (95% des sondés), même plusieurs années après les faits (87%). Le reste ne nous a pas énormément surpris. Nous nous attendions par exemple à la persistance des stéréotypes dans la tête des deux sexes : la femme pourrait prendre du plaisir à être forcée (21%) ; les hommes auraient plus de mal à maîtriser leur désir sexuel (63%).
Selon une enquête CVS INSEE-ONDRP réalisée entre 2010 et 2015, seules 10% des femmes victimes de viols portent plainte. 51% ne vont pas consulter le moindre médecin.
Y a‑t-il une différence selon l’âge des sondés ?
Chez les 18–24 ans, les chiffres en faveur de ces clichés sont encore plus élevés. Alors que dans les tranches d’âge supérieurs, ces fausses idées s’étaient affaiblies, ils réapparaissent chez les jeunes. C’est corrélé à la banalisation de la pornographie. Dès l’âge de 11 ans, les jeunes y ont accès. Dans l’apprentissage de la sexualité, ils ne se tournent pas forcément vers leurs parents. Et il y a une carence d’éducation sexuelle à l’école. Ils vont donc sur internet. Dans le porno, la femme n’est pas l’égale de l’homme. C’est un objet violenté. Même quand elle dit non, ça veut dire oui. Si on la force, elle prend du plaisir. On retrouve les stéréotypes du sondage.
Vous parlez d’un affaiblissement de ces fausses idées. Cela signifie-t-il que la situation était meilleure avant ?
Il y avait eu une amélioration depuis les années 1970 avec la libération sexuelle. Auparavant, le viol n’était même pas véritablement puni. Cela a changé en 1978 avec le procès d’Aix-en-Provence. [Trois hommes sont accusés de viol en réunion sur deux touristes belges lesbiennes qui campaient dans les calanques de Marseille]. L’avocate Gisèle Halimi a défendu les victimes. Cela a été un combat pour faire comprendre que violenter sexuellement des femmes était un crime contre la société. Tout le monde s’opposait à la condamnation, même une bonne partie des féministes. Ils disaient : « Il ne faut pas les condamner, il faut comprendre, on ne peut pas pénaliser des hommes pour avoir exprimé leurs pulsions. »
La loi pénalisait le viol, bien sûr, mais ce procès a permis dans les années 1970 de la faire réellement appliquer. Ce fut la première condamnation d’auteurs de viol. Les assises sont racontées dans le livre Et le viol devint un crime, [de Jean-Yves Le Naour et Catherine Valenti].
« Même en cour d’assises, ces clichés persistent »
Ailleurs dans l’enquête, plus d’un tiers des sondés déresponsabilisent le violeur si la victime a eu une attitude provocante, portait une tenue aguichante ou si elle a flirté avec lui. Aviez-vous vu également un affaiblissement de ces représentations par le passé ?
Celles-là ne se sont jamais effacées. Depuis que je suis médecin et femme, je les ai toujours entendues. C’est toujours la faute de la victime. Jusqu’à l’absurde. Je me souviens d’une fille juive orthodoxe que j’avais soignée, victime de viol. Elle portait une jupe jusqu’en en bas des mollets, un chemisier boutonné jusqu’à la gorge. La policière lui a dit : « Mais regardez-vous, vous croyez que ça donne envie de vous violer ? » Elle ne la croyait pas. Soit on est trop décolleté, soit on est trop moche donc pas désirable.
Tout cela dénote de la culture patriarcale dans laquelle on évolue depuis des dizaines de siècles. Par le passé, les femmes étaient dominées. Les maris consommaient leurs épouses et dirigeaient le couple. La sexualité de la femme, domestiquée, se mettait au service de celle de l’homme. Maintenant, si la femme n’est pas soumise, elle peut l’être de force dans le viol. Même en cour d’assises, ces clichés persistent. Il faut expliquer que, certes la victime a eu une attitude séductrice, certes elle a dragué, mais cela ne déresponsabilise en rien l’agresseur. Les avocats, les policiers, les jurés ont parfois du mal à l’entendre.
Les sondés jugent pour une bonne part que les viols se déroulent le plus souvent dans un espace public (55%), par un agresseur inconnu (44%), à l’adolescence (57%). Préjugé ou réalité ?
Dans 90% des cas, selon notre enquête précédente, les victimes connaissent leur agresseur, et 81% ont été violées étant mineures. Le cas le plus fréquent est un enfant de moins de 11 ans victime d’un inceste. Le viol, tard dans la nuit, lorsqu’une jeune femme rentre seule par un parc, reste minoritaire.
« Violer n’a rien à voir avec la sexualité »
Cela induit des situations dans lesquelles il est infiniment plus difficile de se défendre.
Lorsqu’un enfant est victime, la contrainte sera plus psychologique que physique. Bien plus difficile à combattre. Dans le film Millénium : les hommes qui n’aimaient pas les femmes, adapté du roman de Stieg Larsson, une scène bien faite répond à ceux qui pensent que la femme pourrait mieux se défendre si elle le voulait (41%). La fille, programmeuse informatique, a un tuteur légal. L’homme lui explique tout ce qu’elle va subir si elle n’est pas « gentille » avec lui : l’asile psychiatrique, les neuroleptiques… Puis, il déboutonne son pantalon, descend sa braguette. C’est la pipe ou la psychiatrie. Elle n’a plus le choix. Elle n’a même pas besoin de dire non pour se faire violer.
Dans d’autres situations, la personne est dans un état de sidération, de stress aiguë après un traumatisme intense (comme lors d’un accident, d’une guerre, d’une agression). Le cerveau produit des substances pour nous couper de nous-même. C’est une sorte de protection. La personne n’a plus de ressenti ni physique, ni émotionnel. On est jeté hors de notre corps. Cela empêche de réagir. Des victimes ont affirmé avoir vécu la scène de l’extérieur, comme si c’était une caméra qui filmait. Elles culpabilisent ensuite, car elles n’ont pas couru, elles ne se sont pas débattues, elles n’ont pas mordu quand l’agresseur a introduit son pénis dans la bouche.
65% des sondés estiment le nombre de viols ou tentatives de viol à moins de 50 000 par an. En réalité, selon l’enquête CVS 2010–2015- INSEE-ONDRP, de 18 ans à 75 ans, il y en a 98 000 dont 84 000 femmes. Selon Judith Trinquart, si on ajoute les mineurs et les plus de 75 ans, on arrive à plus de 200 000 viols par an.
N’est-ce pas un paradoxe dans une société sexualisée que le viol soit si mal connu ?
Non, car cela n’a rien à voir avec la sexualité. Les gens confondent. Violer, c’est dominer, asservir, maitriser. Des personnes agressent d’ailleurs avec d’autres objets que leur sexe : des couteaux, balais, revolvers. On n’aime pas en parler car le sujet touche à la sphère génitale. Cela reste un tabou. Si on comprenait qu’il s’agit uniquement de violence, l’aborder serait plus aisé. Un magazine avait titré « numéro spécial sexualité », et dans les sujets on trouvait l’inceste et la pédophilie. Rien à voir. Des tas de films, livres et chansons véhiculent cette image fausse. Jeune et jolie de François Ozon par exemple, on ne fait pas mieux comme nullité.
* sondage réalisé auprès d’un échantillon de 1 001 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, selon la méthode des quotas.